Paz Levison – Cheffe sommelière
Paz Levinson – Cheffe Sommelière Exécutive du Groupe PIC
Avant d’entrer dans l’univers du vin, vous avez d’abord étudié les lettres en Argentine. Existe-t-il des parallèles entre ces deux mondes ? Qu’est-ce qui vous a encouragé à passer de l’un à l’autre ?
Je pense que l’on peut trouver des parallèles entre l’univers du vin et la littérature. Ce qui m’intéressait le plus était le côté historique, scientifique ou archéologique, que l’on peut retrouver dans ces deux domaines. Je pense également que dans ces deux corps de métiers, il y a une notion de « faire avec ses mains » des produits consommables : rédiger et prendre avec ses mains un livre d’une part et produire un vin grâce à son savoir-faire d’autre part. Il s’agit là de deux méthodes différentes de livrer une œuvre d’art, de transmettre, et de donner du plaisir. Il y a des techniques d’écriture différentes, comme on peut trouver des vins élaborés différemment. Il y a une vraie dynamique et créativité dans les deux univers !
Ce qui m’a encouragé à passer de l’un à l’autre est la cuisine à travers les livres ou guides que j’ai pu lire. J’ai vu la gastronomie comme un milieu dans lequel je pouvais m’épanouir et surtout, dans lequel la poésie dans l’assiette reste intacte : il y a des choix esthétiques très forts dans la gastronomie pour atteindre la perfection. Aujourd’hui à Valence, nous proposons des menus similaires à des haïkus, pleins de poésie.
Même si j’étais entourée des bonnes personnes pour me guider, je pense avant tout qu’il s’agissait d’un choix improvisé
Comment définiriez-vous le métier de sommelier.ère ?
Il s’agit d’un métier très vaste et humble. C’est avant tout un métier incarné par une personne qui s’instruit par le vin, au service des autres. Pour moi, un sommelier ne peut pas faire valoir ses compétences sans avoir l’expérience du service. Je ne suis plus en salle aujourd’hui mais j’ai pris énormément de plaisir à être une bonne serveuse, et cela me manque de ne plus avoir d’échange direct avec les clients. De plus, un sommelier c’est également un serveur de boissons, autres que le vin : il faut connaître différentes boissons telles que le thé, le café, les spiritueux, le saké ou encore la bière.
Je regrette aujourd’hui qu’on ne mette pas suffisamment en avant les différents métiers de la restauration tels que chef de rang, maître d’hôtel, directeur de salle, etc. alors qu’ils demandent également de grandes compétences.
Avez-vous rencontré des défis particuliers en étant sommelière dans un secteur majoritairement masculin ? Quelles ont été vos inspirations et vos décisions pour outrepasser les a priori ?
Lorsque j’ai commencé à voyager, j’étais encore très innocente et naïve. Plus j’évoluais dans la profession, plus je me rendais compte que j’entrais dans un univers très masculin. La France et les Etats-Unis, contrairement au Canada ou la Suède, sont des pays où j’ai pu constater une certaine discrimination envers les femmes. Travailler dans la restauration pour une femme est très dur en France, notamment à cause des fameuses coupures imposées. Ce système de coupures suppose qu’on ne travaille pas en continué toute la journée mais sur des plages horaires (ex : 10h-15h puis 18h-22h). Ce système, qui n’existe pas en Argentine par exemple, réduit les opportunités pour une femme de s’engager dans cette voie pendant plusieurs années. Je pense qu’il s’agit là d’un défi pour les restaurateurs de trouver une solution qui puisse aider à l’intégration de la femme, avec enfant(s), dans la restauration.
A mon arrivée en France, j’étais à un moment fort de ma carrière puisque l’on connaissait déjà mon nom, en partie grâce aux concours, ce qui a quelque peu facilité mon insertion professionnelle. Néanmoins, je pense qu’être une femme, qui plus est étrangère, rend l’intégration dans le milieu du vin plus compliquée. Certains restaurants trois étoiles ne veulent pas avoir de cheffes sommelières par exemple. Certes, on trouve des assistantes sommelières ou des sommelières, mais il est rare de trouver une femme exerçant un métier à haute responsabilité dans le vin comme cheffe sommelière.
Vous êtes allée au Chili, en Californie, en Chine et à Londres pour perfectionner vos connaissances en vin. Vous êtes maintenant basée en France : est-ce une finalité logique dans votre parcours ?
Je suis arrivée en France par choix et non pas parce qu’il s’agissait d’une finalité. Il faut savoir que la France, en comparaison à d’autres pays, n’est pas le meilleur choix en terme de diversité de vins pour les sommeliers. Les meilleurs endroits pour être sommelier sont ceux où il y a une grande diversité de vins du monde tels que Shanghai, Londres ou New-York qui reste la ville où la sommellerie bouge le plus. Les États-Unis sont en effet un gros pays producteur et importateur de vin. Les grandes bouteilles de Bourgogne arrivent plus souvent à New-York qu’à Paris … On a certes en France, et à Paris principalement, un choix incroyable de vins français mais c’est très important d’avoir aussi une vision et une connaissance élargies des autres vins.
J’ai choisi de travailler en France également pour la proximité de la langue avec l’espagnol et pour le lien culturel assez fort qui existe entre la France et certains pays d’Amérique du Sud, dont l’Argentine.
Vous allez souvent à la rencontre des vignerons : est-ce important pour vous de vous rendre dans les vignobles ?
Aller à la rencontre des vignerons fait partie de notre métier. Pour savoir ce que l’on vend, il est primordial d’aller dans les vignes, de s’imprégner du terroir, et de voir comment le vigneron travaille.
Mais c’est tout aussi important pour moi d’aller à la rencontre des producteurs de bière ou de thé. Comme je l’ai dit précédemment, être sommelier c’est être un serveur de boissons : il faut connaître un maximum de choses sur chaque boisson que l’on sert, et cet apprentissage passe par le terrain, donc la rencontre avec le producteur.
Qu’est-ce que cela représente pour vous d’être l’unique femme en France à occuper le poste de Cheffe Sommelière Exécutive d’un restaurant trois étoiles (29 restaurants en France) ?
Il faut savoir qu’il y a un chef sommelier sur place à Valence et moi, je suis à la direction sommellerie de la Maison Pic. Mais je pense qu’avant de parler de mon parcours, il faut parler de celui de la cheffe Anne-Sophie Pic et de son ouverture d’esprit. Sa manière de renforcer le statut de la femme dans ce milieu et de le légitimer est révolutionnaire. Même si elle ne s’est jamais prononcée sur le sujet, je pense qu’il s’agit d’un message très fort qu’elle envoie à la haute gastronomie.
Quelles perspectives pourraient envisager la filière viticole pour rendre le secteur plus attractif pour les femmes ?
Je pense déjà qu’il faudrait casser certains préjugés que l’on a sur les femmes et le vin tels que « le rosé, c’est pour les femmes » ou encore arrêter de parler de vin masculin ou de vin féminin. Il faut cesser de genrer le vin car à trop le faire, on exclue trop facilement la femme : les termes de vin « costaud » ou « corsé »font, à les entendre, référence à des vins pour hommes, mais cela ne veut finalement rien dire.
Et il faudrait mettre davantage en valeur les œnologues femmes, les viticultrices, les sommelières. Par exemple, plutôt que de prendre une photo d’un homme dégustant du whisky, il faudrait peut-être alterner et mettre femme pour montrer que non, les spiritueux ne sont pas dégustés que par des hommes.
En 2019, on vous a opposé au chatbot « Magnum » de Matcha sur des épreuves de conseil en vin. Vous avez terminé ex-aequo : pensez-vous que l’IA à sa place dans la sommellerie ?
C’était une très belle expérience ! Entre la machine qui se base sur son algorithme et l’humain, sur ses connaissances, la machine est plus rapide. Lors de notre duel, le moment clé pour moi était celui des accords mets et vins et c’est là que la machine a montré ses limites. Le sommelier, contrairement à l’IA, prend en compte les subtilités et la profondeur d’un plat. De plus, je pense qu’il y a aujourd’hui de plus en plus de personnes à la recherche de conseils venant de sommeliers. Les gens cherchent à échanger avec eux lorsqu’ils souhaitent acheter ou déguster du vin. La machine peut nous rendre plus efficace et peut effectivement nous apporter de l’aide, mais pour moi, l’humain a une sensibilité que la machine n’a pas, et c’est cette sensibilité qui fait qu’au niveau des accords mets et vins, on se distingue d’elle.
- Pour en savoir plus sur Paz Levinson : http://pazlevinson.com/