Matteo Neri – Évolution vente vin en ligne
Entretien avec Matteo Neri
Directeur d’études agroalimentaires chez Xerfi
Le vin se vend-il en ligne comme tout autre produit ?
Oui, s’il a émergé dès le début des années 2000 à l’initiative de certains cavistes (Lavinia, Nicolas) et de pure players spécialisés (Millesima, WineandCo, Chateaunet), le marché du vin en ligne n’a véritablement pris son essor qu’une quinzaine d’années plus tard. Aujourd’hui, il existe 7 grands profils d’opérateurs sur le marché de l’e-commerce de vin :
- les pure players du e-commerce spécialisés (Vinatis.com, Millesima.fr, Mondovino.com, Wineandco.com, etc.), aussi dénommés e-cavistes ;
- les pures players du e-commerce généralistes (Cdiscount.com, Amazon.fr, etc.) aussi dénommés marketplaces généralistes ;
- les sites de ventes privées généralistes (Vente-privee.com, Showroomprive.com) ou spécialisés (1jour1vin.com, Ventealapropriete.com, etc.). Ces sites se distinguent par le caractère ponctuel et exceptionnel des offres, limitées dans le temps et à prix réduit ;
- les plateformes de producteurs (Vente-directe-vigneron-independant.com, Lesgrappes.com, etc.), aussi dénommés marketplaces de producteurs ;
- les acteurs de la grande distribution alimentaire (via leurs drives et services de livraison à domicile des grandes enseignes d’hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité et hard discount) ;
- les cavistes ayant développé une activité en ligne (Nicolas, VandB, Lavinia, Le Repaire de Bacchus, etc.) ;
- les autres opérateurs spécialisés, comme les créateurs de box (Le Pourboire, Le Petit Ballon), les acteurs de la vente aux enchères (iDealwine.com), ou encore les applications œnologiques qui se sont enrichies d’une fonctionnalité marchande (Vivino).
Quel est l’état actuel de la vente en ligne de vin en France ?
Malgré une baisse structurelle de la consommation d’alcool le chiffre d’affaires du e-commerce de vin a progressé de 26% par an en moyenne depuis 2013.
Ces dernières années, les ventes ont certes été soutenues par l’effet de nouveauté, mais aussi et surtout par l’apparition de nouveaux modèles de vente permettant de répondre à une demande jusqu’alors non satisfaite. En effet, plusieurs phases d’accélération de l’activité se dessinent : en 2014 d’abord, avec l’essor des formules de box et d’abonnements, puis en 2016-2017, avec la montée en puissance des sites de ventes privées (Veepee) et des marketplaces généralistes (Cdiscount), mais aussi les pics d’activités rencontrés par certains e-cavistes tels que Vinatis (de 12,6 M€ de chiffre d’affaires en 2015 à 28,4 M€ en 2019) ou Millesima (de 27 M€ en 2015 à 44,8 M€ en 2019).
“Après un ralentissement en 2018, les ventes de vin sur internet se sont à nouveau accélérées pour atteindre environ 500 M€ aujourd’hui (soit 7% des ventes de vins tranquilles en France), dont 100 M€ en drive. ”
Matteo Neri
Quels sont les avantages pour le consommateur à acheter son vin en ligne ? Y-a-t-il des freins dans ce secteur spécifique ?
Parmi les avantages, il y a la largeur de l’offre de produits (nombre de références disponibles) mais aussi de services associés (abonnements, fiches produits, notation, conseils, etc.), et bien sûr la praticité (livraison, click & collect, commandes 24/24).
Mais il y a aussi des inconvénients pour les distributeurs, notamment la difficulté de se différencier de la concurrence (très grand nombre d’intervenants), mais aussi des aspects logistiques complexes qui peuvent ternir la qualité de la prestation (coûts de livraison élevés, délais et qualité de livraison, etc.).
Comment les marketplaces ont-elles changé la vente du vin en ligne ?
Généralistes ou spécialistes du vin, brick & mortar ayant développé une activité en ligne ou pure players du web, sites marchands « en propre » ou marketplaces : le secteur du e-commerce de vin est composé de plus de 500 acteurs aux profils et business models bien spécifiques.
Acteurs historiques, les e-cavistes ont pâti de la concurrence des nouveaux entrants ces dernières années, causant la fermeture de nombreux sites (23% des sites référencés en 2016 avaient disparu en 2019). L’activité s’est ainsi concentrée autour des leaders. Aujourd’hui, ces acteurs historiques ne représentent plus que 30% du marché.
Avec la montée en puissance des drives à partir de 2008 puis des services de livraison à domicile (LAD), les acteurs de la grande distribution alimentaire se sont rapidement imposés comme le circuit dominant dans le e-commerce de vin (38% de parts de marché en 2019). 2e e-commerçant de vin en France, le groupement E. Leclerc réalise près de 40 M€ de chiffre d’affaires dans le vin en ligne grâce à un parc de près de 700 drives, un site spécialisé (macave.leclerc) et une application non marchande (WineAdvisor, rachetée en 2018 et aujourd’hui adossée au site macave.leclerc).
Depuis 2016, GMS et e-cavistes doivent toutefois composer avec la percée des sites de ventes privées, qui représentent aujourd’hui près de 14% du marché. En l’espace de quelques années, le généraliste Veepee (ex Ventes privées.com) s’est notamment imposé comme le premier e-commerçant de vin avec un volume d’affaires estimé à 60 M€ (dont une partie à l’étranger). Le spécialiste Vente à la propriete.com (groupe CVBG Dourthe-Kressmann) a quant à lui quadruplé ses revenus entre 2017 et 2019 pour atteindre 27 M€.
Mais aujourd’hui, ce sont en effet les marketplaces généralistes (Cdiscount, Amazon), spécialisées (WineandCo, Les Grappes, Drinks&Co, TWIL), ou adossées à des applications (Vivino Market) qui promettent de chambouler le paysage du e-commerce, grâce notamment à leur base de clients gigantesque, leur force d’attraction auprès des vendeurs, et leur puissance marketing et logistique. Hormis Cdiscount (3e e-commerçant de vin en France), elles restent pour l’heure relativement discrètes dans l’alimentaire et le vin en particulier. Il existe toutefois de nombreux points d’incertitude concernant la place que réussiront à prendre les marketplaces. Après Amazon et Cdiscount en 2015, ces derniers mois ont été émaillés par plusieurs annonces d’envergure, avec notamment le lancement des places de marché des géants des spiritueux Pernod Ricard (Drinks&Co) et La Martiniquaise (Wineandco) en 2019, et de Carrefour en juin 2020. À l’heure actuelle, ces structures font office de simple « canal de vente » supplémentaire, mais leur ambition va bien au-delà, le rôle d’une « place de marché » étant d’englober tout le marché à l’image de ce qu’a fait Booking dans le domaine de l’hôtellerie. Alors que la filière vin est confrontée à une crise de la demande sans précédent (chute de la consommation en France, effondrement des ventes à l’export), le modèle, qui permet d’optimiser la rencontre de l’offre et de la demande, pourrait séduire producteurs et distributeurs. Reste à savoir si les marketplaces alimentaires sauront inventer un modèle économique rentable tout en répondant aux défis logistiques qui s’imposeront.
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